18

— Votre candidat a été élu ? demanda Vergere en prenant son petit-déjeuner.

— Oui, répondit Luke.

— Félicitations.

Luke regarda Mara, occupée à la console de communication de l’appartement.

— Il faut féliciter Mara plutôt que moi. C’est elle qui a réussi à maintenir Cal suffisamment longtemps en vie pour qu’il puisse prononcer son discours d’investiture.

— Pourtant, dit Vergere, vous avez vous-même joué un rôle prépondérant au cours de sa campagne électorale.

— C’est exact.

— Vous devez comprendre que les Jedi et vous aurez certainement un prix à payer pour cette implication politique.

— Je sais, dit Luke en hochant la tête.

Il but une gorgée de son verre de lait bleu, repensant avec nostalgie à ce même breuvage, plus riche et plus parfumé, qu’il engloutissait lorsqu’il travaillait à la ferme de son oncle Owen. Mara quitta la console de communication, gagna la table et y étala plusieurs clichés holographiques transmis depuis la base secrète des Jedi où ils avaient caché Ben.

— Regarde, de nouvelles images de Ben !

Luke étudia les hologrammes avec son habituel mélange de plaisir et de peine. Les enfants de cet âge grandissent si vite… Luke vit que Ben avait beaucoup changé en très peu de temps, depuis son arrivée à la base. Il marchait à présent, et avec de plus en plus d’assurance. Il parlait, également, mais pour le moment son vocabulaire se limitait au seul mot « genou ». En des instants pareils, la peine de Luke causée par l’absence de Ben l’emportait sur le soulagement de le savoir en sécurité.

Luke et Mara montrèrent les hologrammes à Vergere. Elle les étudia, très perplexe.

— Un très bel enfant humain, annonça-t-elle. Enfin, d’après ma modeste expérience en la matière.

— Et très réceptif à la Force, ajouta Mara. Ça s’est remarqué dans les premiers jours après sa naissance.

La crête de Vergere s’aplatit en arrière.

— C’est peut-être un malheur… dit-elle.

— Pardon ? demanda Luke, stupéfait, en la regardant.

— Vous autorisez les Jedi à se marier, dit Vergere. Non seulement vous leur permettez de se marier, mais vous leur accordez aussi le droit d’avoir des enfants. Vous avez vous-même donné l’exemple, Luke Skywalker.

Luke essaya de contenir sa surprise.

— A votre époque, dit-il, les Jedi étaient choisis dès leur plus jeune âge. Ils étaient élevés et éduqués en sachant qu’ils ne pourraient jamais se marier. Il m’a fallu recruter des Jedi plus vieux, qui étaient déjà impliqués dans des relations…

— C’est très dangereux, dit Vergere. Imaginez qu’un Jedi soit forcé de choisir entre sa famille et son devoir. Qu’est-ce qui va se passer ?

Luke avait eu à faire ce choix à maintes reprises et il était tout à fait à l’aise avec ce concept.

— La famille renforce la personnalité d’un Jedi, dit-il.

— Mais non, un Jedi devient plus faible ! s’exclama Vergere. (Au bout de son long cou, sa tête se tourna vers Mara.) Et vous me dites que votre enfant est très réceptif à la Force ? Mais c’est encore pire !

Les yeux verts de Mara furent traversés par un éclair menaçant.

— Et comment cela, Vergere ? demanda-t-elle.

— Votre petit Ben a hérité de bien plus que du nom de votre époux. Il est le petit-fils de Dark Vador ! déclara Vergere. Trois générations de Skywalker, tous réceptifs à la Force ! C’est une véritable dynastie Jedi ! (La tête de Vergere pivota à nouveau vers Luke.) Vous pouvez imaginer que les gouvernements pourraient considérer cela comme une menace. Sachant qu’il est désormais possible que les Jedi transmettent leurs pouvoirs à leurs enfants, l’équilibre qui existe entre le gouvernement et les Jedi est en péril.

Luke lui tendit l’un des clichés holographiques de Ben.

— Et vous trouvez qu’il est menaçant ? Lui ? Dans un univers envahi par les Yuuzhan Vong ?

La crête de Vergere s’aplatit à nouveau et elle produisit un son strident. Luke sentit les cheveux de sa nuque se hérisser. Il fut presque tenté de lui reprendre prestement le cliché, comme pour protéger Ben d’un danger imminent.

Le carillon de la porte retentit. Une onde délicate de la Force provenant de l’autre côté du panneau avertit Luke qu’il s’agissait de Cilghal, venue rendre visite à Vergere pour en apprendre un peu plus sur ses méthodes de soin. Lorsque Vergere n’était pas interrogée par les Services de Renseignement de la Flotte – une enquête qui semblait se prolonger –, elle acceptait, de façon très aimable, de passer du temps avec la Mon Calamari. Elle enseignait à Cilghal l’art de se faire tout petit. Peut-être qu’à terme Cilghal serait également en mesure de soigner les autres avec ses larmes et que Vergere et elle transmettraient ce savoir à d’autres personnes.

A l’écoute du carillon, Vergere adressa à Luke un regard impavide pendant quelques instants. Puis elle sauta de son tabouret.

— Je dois y aller, dit-elle. Mais je vous supplie, jeune Maître, de réfléchir à tout ceci.

Elle trottina jusqu’à la porte et sortit.

Luke regarda Mara.

— Tu crois vraiment qu’on doit y réfléchir ? demanda-t-il.

Mara s’empara d’un couteau. Elle commença à couper des tranches de fruit de bofa séché, qu’elle incorpora à une préparation d’algues déshydratées croustillantes très prisée des Mon Calamari.

— C’est peut-être la résultante de cinquante ans de solitude, répondit Mara, mais je trouve qu’elle réagit un peu trop violemment.

— Oui.

— Vergere est trop intelligente. Trop sensible. Trop énigmatique. (Ses grands yeux verts étincelèrent.) Elle est bien trop prête à torturer les jeunes humains pour obtenir ce qu’elle veut. Je ne souhaite pas qu’elle s’approche de Ben.

— Tout à fait d’accord, dit Luke. J’ai vérifié les holocrons Jedi. Il y a bien eu une Jedi appelée Vergere, il y a cinquante ans de cela. C’était l’apprentie de Maître Thracia Cho Leem.

Le couteau de Mara décrivit un petit mouvement de bretteur dans les airs.

— Logique, non ? Un bon espion se doit d’être bien intégré.

— Oui, mais c’est quand même extrêmement tordu que d’essayer d’infiltrer les rangs des Jedi par le truchement des Yuuzhan Vong, tu ne crois pas ?

Mara reposa son couteau.

— Peut-être qu’elle a vraiment été un Jedi. La question est : après cinquante ans avec les Yuuzhan Vong, qu’est-ce qu’elle est aujourd’hui ?

Luke fut bien en peine de répondre.

— Je n’ai rien perçu d’obscur chez elle, dit-il.

— On ne perçoit rien du tout, chez elle ! Elle est pratiquement invisible. Nous ne percevons que ce qu’elle veut bien nous laisser percevoir !

— Tu vas jouer les espionnes aujourd’hui ?

— Nylykerka peut bien se débrouiller tout seul avec les réseaux ennemis, aujourd’hui, si tu as quelque chose de mieux à me proposer. Tu as quelque chose de mieux à me proposer ?

— Eh bien, il faut que j’organise ce nouveau Conseil des Jedi, dit Luke. Je pensais que tu pourrais peut-être m’aider.

Mara sourit.

— Tu veux que nous passions la journée à dire du mal de nos collègues en prétendant travailler, c’est ça ? Alors, je suis partante !

Il se pencha et l’embrassa sur la joue.

— Je savais que je pouvais compter sur toi.

 

Ruinée. Ruinée.

Le Maître de Guerre Tsavong Lah observa, révulsé, la Place des Sacrifices. De grandes formations de Yuuzhan Vong, en tenue de cérémonie, s’y étaient assemblées pour assister à la mise à mort, lente et douloureuse, d’une centaine de prisonniers. Tout ceci était organisé à la gloire de Yun-Yuuzhan, dont le Grand Temple devait être officiellement consacré le jour même.

La plupart des captifs étaient des personnages importants, officiers militaires ou sénateurs capturés pendant la bataille de Yuuzhan’tar. Leur vie avait été épargnée jusqu’à ce moment. On les avait attachés sur des tables sacrificielles et des prêtres se tenaient à proximité, équipés de leurs scarabées dévoreurs de chair et de leurs grands couteaux de dépeçage. La symphonie des cris d’agonie des condamnés durerait plusieurs heures et ravirait sans aucun doute les oreilles délicates des dieux.

Mais cela ne se produirait pas. La cérémonie était ruinée. Le Seigneur Suprême Shimrra était apparu sur les marches du temple, le Grand Prêtre de Yun-Yuuzhan avait procédé aux interminables bénédictions, levant les mains au-dessus de la foule de milliers de Yuuzhan Vong, rassemblés pour assister au sacrifice. Et c’est alors qu’une odeur pestilentielle s’était abattue sur la Congrégation. Les rangées parfaitement organisées de spectateurs avaient commencé à perdre de leur superbe géométrie car quelque chose avait jailli entre leurs pieds.

La place était inondée par un liquide visqueux et toxique, surgi soudainement des sous-sols. La boue répugnante s’était répandue parmi la foule. Mais les Yuuzhan Vong étaient disciplinés. Malgré l'inconfort, et la première gêne passée, ils regagnèrent leurs rangs, rassemblant autour d’eux les pans de leur tunique pour éviter de se salir.

Le fluide nauséabond était chargé d’ordures. Dans les sous-sols de la cité vivaient les maw luurs, dont la fonction était de digérer les rejets produits par les travaux de reconstruction. Apparemment, quelque chose avait dérangé leurs estomacs d’omnivores et ils étaient en train de tout régurgiter sur la place.

La voix du Grand Prêtre devint hésitante. Il reprit ses incantations, puis hésita de nouveau. Il eut un haut-le-cœur lorsque le vent porta à ses narines des bouffées de la puanteur. Le Grand Prêtre reprit sa bénédiction, mais Shimrra l’interrompit de sa voix tonitruante.

— Le sacrifice est compromis ! Faites évacuer la foule et tuez les prisonniers !

Le Grand Prêtre se tourna pour faire face au Seigneur Suprême.

— Vous êtes sûr, Ô Grand Terrifiant ?

Shimrra éclata d’un rire sauvage.

— A moins que tu ne penses que cette marée immonde soit assez profonde pour qu’on y noie nos victimes.

Le Grand Prêtre jeta un coup d’œil à la place inondée.

— Heu, non, je ne crois pas, Ô Suprême.

— Dans ce cas, ordonne à tes gens de tuer les prisonniers. (Shimrra tourna les talons et pénétra dans le temple.) Vous autres, suivez-moi.

Tsavong Lah s’élança à la suite du Seigneur Suprême dans les profondeurs ombragées, aux reflets verts et pourpres, du temple. Là au moins l’air était chargé de bonnes senteurs organiques. Shimrra paraissait plus pensif que furieux. Pour Tsavong Lah, ce n’était pas très bon signe. Cela pouvait signifier que la colère pourrait exploser plus tard et qu’elle pourrait prendre une imprévisible tournure. Heureusement que le Terrifiant avait choisi de ne pas se faire accompagner de son sbire Onimi à la cérémonie. La présence d’un Humilié au sacrifice aurait certainement représenté une insulte pour les dieux.

— Un autre échec, gronda Shimrra. Un autre échec public. Avec des milliers de témoins. Notre peuple et notre plus grand dieu…

— Trahison, Ô Suprême ! lança quelqu’un. C’est du sabotage fomenté par ceux des sous-sols !

— Ou bien par les hérétiques, ajouta un prêtre très loyal à la cause de son supérieur Jakan.

— Il me reste encore six voxyns, Ô Terrifiant, dit Tsavong Lah. Laissez-moi en amener un ou deux jusqu’ici et si les Jeedai sont impliqués dans cette affaire, mes voxyns auront vite fait de les découvrir pour les mettre en pièces !

Shimrra regarda à droite et à gauche. Ses yeux incandescents virèrent au jaune, puis au rouge en se posant sur Nom Anor.

— As-tu reçu un rapport concernant des activités secrètes conduites dans les sous-sols ? demanda-t-il.

Tsavong Lah se réjouit en constatant que Shimrra s’était adressé à Nom Anor. Depuis la tentative de ce dernier de lui faire porter le chapeau pour la trahison de Vergere, tout ce qui pouvait causer du tort à Nom Anor représentait une véritable bénédiction pour Tsavong Lah.

— Non, Ô Suprême, aucun rapport, répondit Nom Anor.

Ce dernier manqua défaillir sous le regard féroce des implants de mqaaq’it de Shimrra. Mais le Seigneur Suprême décida de contenir sa colère et ses yeux se firent à nouveau songeurs.

— Nous savons que le Cerveau Monde a été contaminé par ce crétin de Ch’Gang Hool, annonça Shimrra. Serait-ce là une nouvelle manifestation de l’incompétence de nos laborantins ?

Personne n’osa confirmer ni infirmer la supposition.

— C’est à croire que le Cerveau Monde a développé tout seul un sens de l’humour particulièrement redoutable, reprit Shimrra pensivement. Ça ne va pas plaire à Onimi, ça. Il affectionne le fait d’être le seul individu autorisé à pratiquer des plaisanteries de mauvais goût.

Et, là encore, personne ne fit de commentaire.

Le Seigneur Suprême se tourna vers l’un de ses assistants.

— Trouvez-moi un laborantin et sacrifiez-le pour tout ceci…

— Certainement, Ô Suprême.

Les épaules de Nom Anor s’affaissèrent de soulagement. Il comprit que la caste des laborantins aurait à endosser la responsabilité de ce sacrifice gâché. Tsavong Lah le foudroya du regard. Ce sera pour la prochaine fois, ordure, songea-t-il.

Les yeux étincelants et perpétuellement en mouvement de Shimrra balayèrent à nouveau l’assistance avant de se braquer sur Tsavong Lah. Le Maître de Guerre se raidit puis s’inclina respectueusement en conservant son dos bien droit.

— Grand Terrifiant ? demanda-t-il.

— Tes forces ont éliminé un croiseur ennemi à moindres frais, à ce que je sais. Une vengeance pour Komm Karsh. Une toute petite vengeance, cependant…

Tsavong Lah s’arma de courage pour répondre.

— Avec votre permission, Ô Suprême, je pourrais rétablir l’équilibre. Laissez-moi emmener la Flotte et…

— Non, Maître de Guerre.

— Ô Suprême, confiez-moi une bataille décisive ! Que le sang des infidèles inonde l’espace qui s’étend entre les étoiles !

Les mots fusèrent entre les lèvres balafrées de Shimrra.

— Tais-toi !

Tsavong Lah se jeta à terre pour se prosterner aux pieds du Seigneur Suprême.

— J’obéis, dit-il.

Il y eut un très long moment de calme au cours duquel Tsavong Lah envisagea plus ou moins sereinement sa mort imminente. Puis le silence fut rompu par la plus inattendue des voix.

— Avec tout le respect que je vous dois, Ô Suprême, je pense effectivement qu’une bataille décisive devrait être remportée au plus vite, déclara Nom Anor.

Tsavong Lah en eut le souffle coupé par l’étonnement. Mais des soupçons se mirent alors à poindre dans son esprit. Nom Anor ne pouvait pas être d’accord avec lui, comme ça, par pure sympathie envers son inconfortable situation. Il devait y avoir autre chose, un plan, un programme diabolique concocté par l’Exécuteur pour le discréditer aux yeux de leur maître.

A la grande surprise de Tsavong Lah, Shimrra adopta un ton plus affable.

— Fais-nous part de tes arguments, Exécuteur, dit-il.

— On ne peut pas dire que, pour l’heure, nous soyons au summum de nos capacités, Ô Suprême. En revanche, dès que nos auxiliaires auront été formés et que la Flotte sera à nouveau au maximum de sa puissance, nous devrons nous concentrer sur l’engagement décisif qui nous permettra de gagner la guerre.

Le ton de Shimrra se fit moqueur.

— Je croyais que la bataille de Yuuzhan’tar était supposée être « l’engagement décisif nous permettant de gagner la guerre »…

Nom Anor hésita.

— Les infidèles se sont avérés plus… à même de s’adapter que nous ne le suspections.

Tsavong Lah intervint :

— Nous ne devrions pas gaspiller nos forces sur une bataille pour son seul caractère offensif. Cependant, si nous choisissons le bon moment, la bonne cible… Si nous réussissons à les surprendre et à tirer parti de ce désavantage, nous pourrons alors les détruire sans qu’ils puissent s’en remettre.

— Ah… (La moquerie continua.) Et comment pouvons-nous choisir le bon moment et la bonne cible ?

— Tout repose sur une bonne connaissance et une bonne infiltration de l’ennemi, Ô Suprême.

Shimrra éclata de rire.

— Alors, ça dépend de toi ! Gloire à Nom Anor ! Cette victoire dépend de toi, toi qui viens de perdre deux agents très compétents dans une tentative ratée d’assassinat !

Nom Anor décida, judicieusement, de ne pas répondre à la moquerie.

— L’assassinat est un métier dangereux, Ô Suprême. On peut risquer la vie de quelques agents, mais on ne doit prendre aucun risque quand il s’agit de la Flotte.

— Très bien, très bien. (Shimrra hésita quelques instants.) Lève-toi, Maître de Guerre.

Tsavong Lah bondit sur ses pieds, son pied griffu de vua’sa racla le sol chitineux du temple. Il jeta un coup d’œil à Nom Anor et essaya tant bien que mal de masquer son ressentiment.

Shimrra les observa tour à tour.

— Maître de Guerre, tu auras ta bataille décisive une fois que la Flotte sera prête. Mais tu ne déclencheras pas cette bataille à l’aveuglette. Tu attendras que les espions de Nom Anor te signalent que le moment est bien choisi. Et tu attendras également ma permission. C’est compris ?

— Bien compris, Ô Suprême, dit Tsavong Lah en s’inclinant de façon servile.

Un sourire se dessina sur le visage de Shimrra.

— Il me semble que vous êtes de nouveau destinés à travailler ensemble, tous les deux. Le sort de l’un dépendra totalement du sort de l’autre. Si l’un d’entre vous venait à échouer…

Il laissa sa phrase en suspens.

Tsavong Lah se raidit et regarda l’Exécuteur. Celui-ci l’observa en retour. Et le Maître de Guerre s’accorda un large sourire. Au moins, si j’échoue, songea-t-il, je me réjouis à l’idée que tu ne me survivras pas longtemps…

Il y avait fort à parier que Nom Anor pensait exactement la même chose.

 

— Je veux Cilghal, dit Luke. Je veux une guérisseuse. Le fait qu’elle soit également ambassadeur est un bonus.

Mara et lui étaient installés dans l’appartement et essayaient de choisir les cinq Jedi qui épauleraient Luke au sein du nouveau Conseil. En arrière-plan, une retransmission holographique en direct montrait Cal Omas en train de prononcer son discours d’investiture au Sénat.

« … Avec la peine de nos innombrables disparus, mais avec l’espoir pour l’avenir, déclarait Cal. Avec la tristesse pour tous ceux qui sont tombés, mais avec la confiance en ceux qui prendront bientôt leur place… »

— Va pour Cilghal, dit Mara. C’est parfait.

Luke la regarda droit dans les yeux.

— La personne que je veux vraiment à mes côtés, dit-il, c’est toi.

Les yeux verts de Mara pétillèrent.

— Je suis très flattée de l’entendre.

— Au Conseil, je veux dire, répondit Luke. En plus du reste. Mais je doute qu’un Maître Jedi puisse confier une tâche gouvernementale à son épouse sans que cela crée quelques remous…

— Je pourrai toujours te conseiller, de toute façon, dit-elle. Ça, tu ne pourras jamais l’éviter. (Elle jeta un coup d’œil à la liste qu’ils avaient établie.) Qui d’autre ?

— Que penses-tu de Kenth Hamner ? Il a les contacts, il a les connaissances, non ?

Mara hocha la tête et écrivit le nom sur son databloc.

— Va pour Hamner, d’accord. (Elle releva les yeux.) Kam Solusar ? Ou bien Tionne ? Ce serait bien d’avoir un représentant de l’Académie Jedi.

— Bon, mettons leurs noms de côté. Si nous n’étions pas en guerre, je ferais en sorte que l’un d’entre eux soit au Conseil, sans aucun doute. Mais, pour l’heure, nous avons besoin d’un groupe qui soit un peu plus concentré sur l’action.

— Alors pourquoi Cilghal ?

— Les soins sont essentiels, répondit Luke en la regardant.

Mara soutint son regard et hocha la tête.

— Bien sûr, bien sûr…

— Et Saba Sebatyne ? Elle commande à un escadron essentiellement constitué de Jedi. Elle a tous les Barabel derrière elle. Elle a prouvé sa valeur à maintes reprises, il serait peut-être temps de lui confier plus de responsabilités, tu ne crois pas ?

Saba n’avait pas été entraînée à l’Académie Jedi, mais sur Barab Un par le Maître Jedi Eelysa. Saba, à son tour, avait recruté et entraîné de nombreux congénères Barabel qui, à présent, représentaient l’essentiel des effectifs de son Escadron des Chevaliers Errants.

— Tu as déjà bien réfléchi à la question, pas vrai ? demanda Mara.

— Je fais de mon mieux…

Elle lui adressa un sourire espiègle.

— Peut-être que Cal a raison, finalement, tu es vraiment en train de devenir un parfait politicien…

Luke feignit l’épouvante et fit un geste de dénégation. Mara éclata de rire.

— Ma seule objection, c’est que Saba n’est que Chevalier, pas Maître.

— Les Chevaliers devraient également être représentés au Conseil.

Mara étudia son databloc.

— Saba pourrait représenter un tas de gens. Les Chevaliers, les Barabel, un escadron tout entier…

— Il est donc essentiel de lui réserver un siège.

« … Avec la compassion pour ces millions de personnes qui ont tout perdu, déclara l’hologramme de Cal. Avec fermeté et pour la justesse de notre cause… »

Mara haussa les épaules et cocha le nom de Saba.

— Et Streen ? suggéra-t-elle.

— Peut-être. Tresina Lobi ?

— Elle ne serait pas mal…

« … J’accepte la décision du Sénat en devenant Chef d’Etat de la Nouvelle République », annonça la voix de Cal.

Une grande clameur, suivie d’un tonnerre d’applaudissements, retentit.

— Bon discours… commenta Mara.

— Ouais. (Luke observa, pensif, l’image tridimensionnelle de Cal qui écoutait respectueusement les applaudissements de l’assemblée.) Tu sais, je commence à éprouver beaucoup de sympathie pour Cal. Je crois qu’il va bien jouer son rôle, non seulement au sein du Conseil Jedi mais également dans les différents organes gouvernementaux.

— Il a plus d’expérience que nous en la matière, apparemment.

— Oui, espérons. (Luke regarda le databloc de Mara et étudia la liste des noms.) Bien, ajoutons un nom supplémentaire. Mon candidat le plus controversé…

Mara se tourna vers lui, le regard épouvanté.

— Oh non ! Pas Kyp Durron, quand même !

Luke soutint son regard et hocha la tête.

— Ça vaut ce que ça vaut, dit-il. Mais je pense que les actes de Kyp Durron sur Hapes et sur Borleias prouvent qu’il est devenu bien plus stable qu’il ne l’était jadis. Il semble être en paix avec lui-même. Souviens-toi, il a renoncé à toute fierté sur Ithor et, depuis, il s’est volontairement rangé sous les ordres de Jaina. De plus, il a toujours soutenu l’idée d’un Conseil Jedi.

— Tu te prépares un sacré lot d’ennuis…

— Est-ce que ce ne serait pas moins gênant que de savoir Kyp en liberté dans la nature, là où le Conseil ne peut pas le contrôler ? demanda Luke. Souviens-toi, il ne représenterait qu’une seule voix. S’il décide de jouer les indépendants, il sera minoritaire par rapport aux autres et finira bien par se rallier à la raison.

— Je pense que tu idéalises le sens des obligations de Kyp. De plus… (Mara réfléchit un instant.) Comment peut-on savoir qu’il sera minoritaire ? Il va y avoir six membres de ce Conseil qui ne seront pas des Jedi. Imagine que les arguments de Kyp leur plaisent…

— Si les arguments de Kyp plaisent à une demi-douzaine de représentants politiques, alors il va falloir que je sois plus attentif à ces arguments que je ne l’ai jamais été.

Mara lui adressa un regard sceptique.

— Je pense que tu vas le regretter.

Luke haussa les épaules.

— Peut-être. Probablement. Mais si une personne, nantie d’une certaine autorité, ne s’adresse qu’à des personnes toujours d’accord avec elle, alors cette personne découvrira petit à petit qu’elle risque de perdre son autorité.

— Tu es vraiment devenu un politicien, soupira Mara.

 

Luke présenta ses candidats pour le Conseil Jedi à Cal Omas le matin suivant. Le bureau sentait la peinture fraîche et la colle de la nouvelle moquette qu’on venait de poser. Cal se laissa aller contre le dossier de son fauteuil, étudia la liste et adressa à Luke un regard sceptique.

— Kyp Durron ? demanda-t-il.

— Kyp a bien changé, répondit Luke.

— C’est vrai que cela fait quelques années qu’il n’a pas détruit de planète…

— Kyp n’est pas précisément responsable, intervint Luke. Il était possédé par l’esprit d’un Seigneur Sith appelé Exar Kun, mort depuis très longtemps.

Cal secoua la tête et reprit la parole sur un ton lugubre.

— C’est exactement le genre de choses que j’espère ne jamais avoir à expliquer au Comité Sénatorial, dit-il.

Luke regarda Cal, l’air préoccupé.

— Dois-je supprimer sa candidature ? Je ne veux pas gaspiller nos chances de reconstituer ce Conseil Jedi.

Cal réfléchit à la question puis secoua la tête.

— Non, dit-il. Je comprends vos motivations. Il vaut mieux conserver ses adversaires potentiels près de soi, là où on peut garder l’œil sur eux. C’est pour cela, par exemple, que j’ai insisté pour que les vieux partisans de Fey’lya fassent partie du panel de conseillers. J’espère parvenir aussi à convaincre Fyor Rodan. (Il releva les yeux vers Luke.) Et vous convaincre, vous aussi…

— Moi ? Vous êtes sûr ? demanda Luke, surpris. Vous ne croyez pas que Leia serait mieux indiquée pour un poste pareil ?

— Peut-être. Mais Leia n’est pas encore rentrée de Bastion et vous, au moins, vous êtes là.

Luke sourit.

— Vous allez me maintenir tellement occupé, à courir d’une réunion à une autre, que je n’aurai plus le temps de faire quoi que ce soit d’autre.

— Et alors, c’est mal ? demanda Cal. Est-ce que le chef de l’Ordre Jedi est encore obligé de faire sauter des Etoiles Noires et de livrer des duels au sabre laser à son âge ?

Luke sourit.

— Ça fait longtemps que je n’ai pas fait sauter d’Etoile Noire.

— Laissez donc, les jeunes sont là pour ça, non ? continua Cal. Essayez, aujourd’hui, de me coller dans le cockpit d’un chasseur stellaire. J’aurais vraiment l’air d’un crétin.

— J’en doute, dit Luke.

— Bon, j’exagère peut-être un peu, dit Cal en souriant. A propos, je souhaite moi aussi postuler pour faire partie du Conseil Jedi.

— J’espérais bien que vous nous le proposeriez.

— Et puis Triebakk, aussi, en tant que représentant du Sénat. J’attends encore la confirmation des sénateurs, mais je ne pense pas qu’il y aura le moindre problème. Je suggère aussi Dif Scaur, le chef des Services de Renseignement. Quelqu’un du Conseil de Justice, également. Je n’ai pas encore trouvé qui. Et Releqy A’Kla, qui dirigera les ministres d’Etat.

— Son oncle était un Jedi.

— Je sais.

— Vous ne prenez aucun supporter de Fey’lya ou de Fyor Rodan ?

— Je sais, répondit Cal en souriant. Il faudra qu’ils se contentent de sièges de conseillers ministériels, pas vrai ?

— Et votre sixième candidat ?

— Sien Sovv, en tant que chef des Armées. (Il eut l’air troublé.) Je décide de le garder. Il m’a présenté sa démission un quart de seconde après la fin de mon discours d’investiture.

Luke adressa un regard très sérieux à Cal Omas.

— Vous devriez contacter Ackbar.

— Pour le poste de Suprême Commandeur ? demanda Cal sur le ton de la curiosité.

— Non. Mais vous devez vous entretenir avec lui. Il a un plan pour se débarrasser des Yuuzhan Vong.

— D’accord, j’irai lui parler.

— Faites-le vite, Cal, ajouta Luke. Vous connaissez son état de santé.

— Bien, je m’en occupe très vite, répondit Cal en hochant la tête.

La voix du droïde de communication de Cal retentit dans le haut-parleur intégré du bureau.

— Le Sénateur Rodan est arrivé pour son rendez-vous.

— Ah, je ne dois pas faire attendre Fyor, dit Cal en se levant de son siège.

Il escorta Luke jusqu’à la porte et s’effaça pour laisser le Maître Jedi le précéder dans l’antichambre.

Fyor Rodan était là, vêtu d’un costume gris acier, arborant une expression très froide. Luke lui adressa un hochement de tête poli auquel Rodan répondit par un regard noir.

— Je constate que vous avez obtenu le Chef de l’Etat correspondant à vos plans, dit celui-ci.

— Je ne crois pas que vous m’ayez un jour demandé de vous faire part de mes plans, répondit Luke. Vous avez supposé en connaître la teneur…

— Vous êtes intervenu d’une façon ou d’une autre, dit Rodan. Votre femme et vous avez fait quelque chose à mes sympathisants.

— Nous n’avons rien fait de pareil, dit Luke.

— Alors ce sont vos amis les pirates. Vous le niez ?

— Je nie avoir, comme vous le dites, des amis pirates, dit Luke tout doucement. Et je n’ai pas la moindre idée de ce que mes amis auraient pu faire à vos supporters, pour peu qu’ils aient effectivement fait quelque chose…

— Ah ! La vertu Jedi ! rétorqua Rodan. Vous restez de marbre pendant que vos amis se chargent des sales besognes. Je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer que les droïdes de vos « amis » montent la garde devant le bureau du Chef d’Etat, un Chef d’Etat que vos « amis » ont contribué à créer…

— Les droïdes CYV qui sont dans le couloir appartiennent au gouvernement, intervint Cal Omas. Vous avez vous-même voté pour approuver leur acquisition, Rodan.

Fyor Rodan lança à Cal un regard réprobateur.

— Je pensais que vous auriez la fierté de ne pas accepter de vous vendre à une bande de renégats et à leurs complices sorciers ! s’emporta-t-il. Je refuse de participer à l’entretien de cette illusion qui prétend que votre gouvernement est parfaitement légal. Je vous prierai donc de rayer mon nom de toutes vos listes de candidats possibles à des postes ministériels.

Sur ce, il tourna les talons, s’éloigna, raide comme la justice, et quitta l’antichambre. Luke et Cal échangèrent un regard.

— Ça risque d’être plus complexe que je ne l’imaginais, conclut Cal.

La voie du destin
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